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No 38 - 2021

Droits et devoirs procréatifs : des normes et des pratiques
Sous la direction de Irène-Lucile Hertzog, Marie Mathieu




Pour une analyse globale, internationale et interdisciplinaire du travail procréatif
Irène-Lucile Hertzog, Marie Mathieu

Cadre de la recherche : Dans la lignée des analyses féministes matérialistes, cet article revient sur la frontière entre travail dit productif versus reproductif pour en déconstruire les fondements et montrer que derrière l’organisation sociale de la procréation, se trouve un travail dont la responsabilité incombe principalement aux femmes.

Objectifs : Cette introduction vise à questionner la production d’enfants et son refus à l’aide du concept de travail procréatif, intégrant ainsi les différentes tâches qu’implique la (non)procréation, mais aussi l’élevage des enfants. Par ailleurs, il donne à voir l’intérêt de penser le droit du travail procréatif au sein des normes sociales qui encadrent les multiples séquences de la (non)production de nouveaux êtres humains.

Méthodologie : Cet article introductif s’adosse à une revue de la littérature permettant de clarifier les concepts clés de « travail procréatif » et « droit procréatif » mobilisés pour analyser les tâches liées à la procréation, entendue dans un sens élargi, afin de contextualiser les différentes contributions composant ce dossier.

Résultats : Tout en montrant le pouvoir heuristique des choix conceptuels opérés, l’article souligne les espaces de résistance à l’analyse du travail procréatif et ouvre de multiples pistes d’investigation pour prolonger ce dossier en vue d’une appréhension globale, internationale et interdisciplinaire du champ de la procréation.

Conclusion : La grille de lecture proposée pour penser la production d’enfant et son refus, et ce qu’ils impliquent pour les femmes, permet de rendre visible tout un ensemble de tâches ordinaires particulièrement chronophages et pourtant invisibilisées. Elle souligne la nécessité d’intégrer les différentes normativités formant le cadre social du travail procréatif incluant les différentes normes du droit.

Contribution : Cet article offre une synthèse des connaissances sur les concepts mobilisés dans l’analyse des tâches liées à la (non)production d’enfant.

Mots-clés: travail procréatif, droits procréatifs, procréation, reproduction humaine, rapports sociaux


La construction genrée de la parenté par le droit de la procréation en France et en Allemagne
Laurie Marguet

Cadre de la recherche : Il est classique de présenter l’encadrement juridique de la procréation comme structuré autour des paradigmes d’autonomie, de liberté et de choix, que ce soit en France ou en Allemagne. S’il est indéniable que le droit autorise désormais les individus, et plus particulièrement les femmes, à faire des choix procréatifs, il n’en reste pas moins que le droit encourage davantage certains choix procréatifs au détriment d’autres. Or, la manière dont le droit encadre les choix procréatifs des individus nous dit quelque chose du modèle de la famille « idéale » défendu par l’État. Si ce modèle diffère quelque peu entre les ordres juridiques en fonction du contexte social, historique, culturel ou politique du pays, en France et en Allemagne, ce modèle comprend nombre de similitudes, notamment en ce qu’il fait perdurer un ordre du genre organisé autour de la distinction classiquement établie entre « travail reproductif » (traditionnellement attribué aux femmes) et « travail productif » (traditionnellement réservé aux hommes).

Objectif : Cette recherche s’intéresse à la manière dont les dispositifs juridiques construisent certains idéaux de parenté en encourageant certains choix procréatifs et in fine la constitution de certaines familles et de certaines parentés. Il convient de déconstruire le discours visant à considérer que non seulement les règles juridiques encadrant la procréation sont structurées autour d’une autonomie procréative, mais qu’elles feraient désormais prédominer une logique de « sur-puissance » maternelle, engendrant des inégalités pour les hommes.

Méthodologie : Nous avons analysé les dispositifs juridiques (textes juridiques et jurisprudence) encadrant principalement la contraception, l’accouchement sous X, l’avortement, la procréation médicalement assistée (PMA), mais aussi l’établissement de la filiation.

Résultats : Notre recherche a démontré que le droit encourageait la constitution de la famille « génétique », par hypothèse, hétéronormée et appréhendait de manière différenciée la maternité et la paternité.

Conclusions : Parce qu’il a pour fonction de créer des standards de comportement, le droit « normalise » et ne considère pas comme légitimes tous les choix personnels. Les règles encadrant les techniques de procréation autorisées en France et en Allemagne ne font pas exceptions à ce principe : même si le droit autorise le recours à la contraception, l’accouchement sous X, à l’avortement, ou à la PMA, l’ordre juridique en France et en Allemagne reste réticent à admettre le refus de maternité (bien plus que le refus de paternité), de la même manière qu’il encourage davantage la constitution de familles hétéronormées que celles qui ne le sont pas.

Contributions : Notre travail de recherche permet de mettre en lumière le rôle fondamental du droit dans la légitimation de certains projets parentaux ou de certaines familles.

Mots-clés: droit, avortement, accouchement sous X, procréation médicalement assistée, filiation, maternité, paternité, comparaison France/Allemagne

Les lois européennes du travail procréatif : entre biologisation de la maternité et euphémisation des normes de genre
Sophia Ayada

Cadre de la recherche : Cette recherche analyse des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne (la Cour) relative au travail procréatif et concernant ainsi des demandeur·esse·s souhaitant avoir accès à des droits spécifiques en tant que mères (biologique, d’intention ou potentielle) ou pères.

Objectifs : Il s’agit de mettre en lumière les lois européennes du travail procréatif, c’est-à-dire les présupposés, analogies et déductions sur lesquelles la Cour construit ses solutions juridiques, applicables en droit social, et d’interroger leurs conséquences matérielles.

Méthodologie : La jurisprudence européenne est examinée sous l’angle du féminisme matérialiste, afin de mettre en perspective son raisonnement dans ces jugements avec les conséquences matérielles sur la vie des femmes auxquels ils conduisent.

Résultats : La Cour différencie la situation juridique des femmes enceintes et en congé de maternité de celles des parents à la suite du congé de maternité. La maternité est conçue comme une réalité avant tout biologique, à l’origine d’une soi-disant vulnérabilité des femmes enceintes et des mères en congé de maternité. Au contraire, le travail parental est perçu comme ne pesant pas structurellement davantage sur les mères que les pères, et la Cour lui applique une approche genderblind fondée sur l’égalité de traitement des hommes et des femmes.

Conclusions : L’analyse biologisante de la maternité défendue par la Cour exclut de l’accès à certains droits les mères non biologiques, notamment celle ayant eu recours à la gestation pour autrui (GPA), ainsi que les pères. En outre, les discriminations structurelles ne permettent pas de justifier l’adoption de législations sexospécifiques visant à contrebalancer les inégalités en matière d’assignation au travail procréatif.

Contribution : Cette recherche montre l’ambivalence de la jurisprudence européenne, qui oscille entre un régime d’exception offrant une « protection » des femmes enceintes, et un régime général qui minimise l’ampleur et l’impact discriminatoire des normes légales et sociales relatives au travail procréatif.

Mots-clés: jurisprudence, égalité, discrimination, maternité, paternité, biologisation, déterminants

Des normes procréatives sécularisées ? L’opposition catholique française à l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules
Séverine Mathieu

Cadre de la recherche : Dans le contexte de la nouvelle révision des lois de bioéthique française, entre 2018 et 2020, l’Église catholique est très active, en particulier à propos de l’ouverture de la Procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes seules.

Objectifs : Cet article se propose d’explorer comment les normes procréatives catholiques, qui voudraient fixer les conditions d’entrée dans la parentalité, sont retraduites dans un argumentaire séculier.

Méthodologie : L’enquête sociologique de type ethnographique repose sur deux formes de matériaux. D’une part des observations réalisées lors des États généraux de la bioéthique qui se sont tenus entre janvier et mai 2018 et d’autre part, une analyse des propositions faites sur le site des États généraux de la bioéthique, ouvert entre janvier et juin 2018. Des interventions faites dans les médias et des documents produits par l’institution catholique sont également utilisés dans cette recherche.

Résultats : Le magistère romain cherche à montrer que ses prescriptions en matière familiale ne se fondent pas sur la foi, mais sur une juste compréhension des mécanismes de la nature. Pour ce faire, les discours de l’institution empruntent à une rhétorique qui fait référence à une bibliothèque séculière.

Conclusions : Dans ce contexte, la mobilisation catholique contre l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules s’attelle à ne pas faire changer le droit, en appelant à des valeurs dites « traditionnelles », les défendant au nom de principes séculiers, expression d’un catholicisme « ostensible » (Hervieu-Léger, 2017), dont les normes n’imprègnent plus le droit procréatif.

Contribution : On voit ici comment, pour faire valoir les normes procréatives qu’elle défend, dans la lignée de sa réprobation de la contraception et de l’avortement, l’institution catholique a recours à des normes séculières qui témoignent également de la sécularisation du catholicisme.

Mots-clés: famille, biotechnologie, éthique, filiation, religion

La contraception dans Femmes d’Aujourd’hui (1960-2010) : entre visibilisation et assignation de genre du travail procréatif
Margaux Roberti-Lintermans

Cadre de la recherche : Femmes d’Aujourd’hui, premier magazine féminin francophone belge, s’adresse majoritairement à un lectorat féminin et transmet un discours sur la contraception, tout en contribuant à sa construction.

Objectifs : Nous analysons ce discours dans une perspective chronologique longue (1960-2010) au regard des transformations sociétales et législatives en Belgique. Comment la régulation des naissances est-elle présentée ? À qui incombe cette responsabilité ? Comment se transmet-elle ?

Méthodologie : À partir d’une analyse qualitative basée sur un dépouillement systématique de la revue, nous rendons compte de l’évolution du discours sur la contraception.

Résultats : Dimension fondamentale du travail procréatif, la contraception est initialement défendue comme une responsabilité partagée au sein du couple, conformément à l’orientation chrétienne de la revue et de ses journalistes. Par la suite, la régulation des naissances devient progressivement une tâche exclusivement féminine, les différents contraceptifs portés sur les corps des femmes étant alors classés selon des critères d’efficacité mis en avant par le corps médical. Au tournant des années 2000, l’information sur les moyens de contraception se diversifie et laisse place aux critiques dans le courrier des lectrices.

Conclusions : Visibilisant les différentes méthodes dans un objectif qui se veut informatif avant tout, Femmes d’Aujourd’hui fait pourtant la promotion d’une norme contraceptive et procréative. Grâce aux méthodes contraceptives, la maternité peut être accomplie en respect de normes sociales, prescrivant notamment une certaine trame temporelle, où le type de contraceptif change en fonction du projet d’enfant. Enfin, bien qu’elle laisse place au débat via les lectrices ou les journalistes, la presse féminine contribue paradoxalement à l’assignation genrée du contrôle des naissances.

Contribution : Le discours sur la contraception dans Femmes d’Aujourd’hui contribue à diffuser une injonction à la maternité. Nous identifions dans notre recherche des normes procréatives contribuant à cela. Celles-ci évoluent en deux phases liées au contexte sociétal et législatif.

Mots-clés: parenté, contraception, histoire, analyse de discours, travail procréatif, médias

« Pourquoi vous être mariée si vous ne voulez pas d’enfants ? » Le travail contraceptif au Gujarat, Inde
Lucia Gentile

Cadre de la recherche : La Constitution indienne garantit le droit à l’autonomie en matière de reproduction, y compris le droit d’accéder à la contraception. Cependant, les femmes continuent à rencontrer des obstacles importants qui limitent leur autonomie procréative et la stérilisation féminine reste la méthode la plus utilisée.

Objectifs : Cet article s’intéresse à la configuration du travail contraceptif des femmes à Bhuj (Gujarat, Inde), en soulignant les contraintes matérielles, financières et temporelles qui restreignent encore leur autonomie procréative. Ce texte souhaite mettre en évidence la manière dont les usagères des services de planification familiale respectent, critiquent ou contournent les injonctions sociales et légales en matière de contraception.

Méthodologie : Il s’appuie sur une recherche ethnographique réalisée entre 2015 et 2018 dans un hôpital public de la ville de Bhuj et des entretiens menés auprès de 40 femmes.

Résultats : En raison de la pudeur qui entoure la sexualité et de la désapprobation sociale de la manifestation du désir sexuel, les femmes cachent le travail contraceptif qu’elles produisent. La contraception n’est pas seulement un travail invisibilisé, mais il se doit d’être aussi dissimulé par les usagères, afin d’avoir une autonomie procréative. C’est l’une des raisons qui participent au recours croissant à la stérilisation, méthode de contrôle des naissances aujourd’hui privilégiée à Bhuj.

Conclusions : La division du travail contraceptif contribue et renforce des inégalités sociales et de genre. La contraception se confirme comme une responsabilité que les femmes doivent gérer, même si plusieurs formes d’autorité influencent cette gestion. À travers un arbitrage entre les avantages et inconvénients des différentes méthodes, les femmes font preuve d’une agency pragmatique qui leur permet de régir leur parcours procréatif et d’affirmer leur identité sexuelle en tant que femmes fertiles.

Contribution : L’article veut actualiser les recherches existantes sur la planification familiale en Inde, en mobilisant la notion de travail contraceptif.

Mots-clés: travail contraceptif, corps, femme, agentivité, stérilisation, Inde

Esquiver le stigmate lié à l’avortement : le « travail d’invisibilisation » comme renforcement du travail procréatif
Laurine Thizy

Cadre de la recherche : Partant du constat que l’avortement demeure une pratique stigmatisée, cet article analyse les stratégies d’invisibilisation mises en place par les femmes ayant avorté d’une première grossesse afin de contourner la stigmatisation.

Objectif : Cet article montre comment le « travail d’invisibilisation » mis en place par les avortées (gestion du secret, dissimulation des signes de grossesse, du parcours de soin et de l’avortement…) renforce le travail procréatif assigné aux femmes. En cela, il contribue à reproduire des asymétries genrées.

Méthodologie : Les données utilisées sont issues d’entretiens semi-directifs menés en France auprès de femmes entre 17 et 38 ans ayant avorté d’une première grossesse (n=49). Elles sont complétées par des observations ethnographiques dans plusieurs centres d’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) français.

Résultats : Dans le cadre d’une première grossesse interrompue, le dévoilement de l’avortement se réalise dans un entre-soi féminin, principalement auprès des amies et des mères des avortées. Les partenaires sexuels sont des soutiens d’autant plus ambigus que la relation de couple n’est pas établie. L’invisibilisation de l’avortement se traduit par des stratégies de justification alternative des absences au travail comme à l’école, pour préserver l’intimité et éviter une stigmatisation sexuelle et contraceptive. Dans l’espace domestique, la dissimulation, plus rare, s’avère difficile : elle suppose de masquer les signes de grossesse et les traces du parcours de soin. La prise en charge médicale de l’avortement expose quant à elle à une stigmatisation de l’échec contraceptif.

Conclusion : Se prémunir de la stigmatisation de l’avortement peut être nécessaire pour éviter le discrédit des avortées. Le travail d’invisibilisation varie selon les caractéristiques sociales des avortées (âge, situation conjugale) et les motifs de la stigmatisation (sexualité, représentation du fœtus, échec contraceptif).

Contribution : Cet article contribue à l’analyse internationale de l’abortion stigma en le resituant dans une perspective matérialiste attentive au travail procréatif accompli par les femmes. Il montre également les spécificités de la stigmatisation abortive en France.

Mots-clés: avortement, dévoilement, genre, santé reproductive, stigmate, travail procréatif, stratégie d'invisibilisation

Les représentations sociales des fournisseuses de gamètes en Espagne : derrière le « don » d’ovocyte, un travail invisibilisé et dévalorisé ?
María Isabel Jociles, Ana María Rivas, Ariadna Ayala Rubio

Cadre de la recherche : L’Espagne se classe au premier rang en Europe en matière de « don » d’ovules. Leur production et leur commercialisation constituent aujourd’hui l’un des marchés les plus lucratifs du système économique national.

Objectifs : Comment les femmes cédant leurs ovules comprennent-elles ce « don » ? Dans une société où le « don » d’ovocytes est formalisé comme un acte bénévole et altruiste, comment les « donneuses » conçoivent-elles et considèrent-elles la rémunération qu’elles obtiennent pour cet acte ?

Méthodologie : Cet article présente l’analyse d’entretiens approfondis menés avec 38 « donneuses » d’ovules, issues de différentes régions d’Espagne, participant actuellement ou ayant participé au processus de « don ». Entre 18 et 49 ans, elles occupent pour la plupart des emplois précaires, elles sont au chômage et/ou elles sont étudiantes non boursières.

Résultats : Les « donneuses » d’ovules ne conçoivent pas leur contribution à l’industrie de la reproduction humaine comme un travail salarié.

Conclusions : Même si ces femmes jouent un rôle prépondérant dans le processus de « don » d’ovules, leur contribution est bien souvent sous-estimée. Pourtant, leur implication est nécessaire à la concrétisation de projets familiaux de personnes souhaitant devenir parents. Elles contribuent également au bon fonctionnement de l’activité des cliniques d’assistance à la procréation et à l’approvisionnement des banques de gamètes.

Contribution : Tout en présentant l’organisation sociale du « don » d’ovules en Espagne, cet article révèle la manière dont le travail reproductif effectué par les femmes produisant et cédant leurs ovocytes est invisibilisé et dévalorisé. De plus, il rend compte de la façon dont les « donneuses » d’ovules sont expropriées de leur matériel biologique, expropriation faiblement rémunérée et dont elles ne tirent qu’une faible part des bénéfices. Cette exploitation des femmes à travers le « mode biomédical de reproduction » et l’invisibilisation de leur travail est rendue possible grâce à l’anonymat des « dons », la coordination phénotypique, les modes de consentement, une compensation économique, et plus largement par une métaphore du « cadeau » et d’une idéologie de l’altruisme.

Mots-clés: procréation médicalement assistée, travail de reproduction humaine, « donneuses d'ovules », travail reproductif, altruisme, compensation financière

La triple journée des femmes enceintes : l’encadrement des grossesses en France, entre droits des femmes et devoirs des mères
Elsa Boulet

Cadre de la recherche : Dans le contexte français, les grossesses sont encadrées par un ensemble de dispositions légales (droits de la santé, de la sécurité sociale, du travail) et de pratiques médicales (parcours de soins type). Cet article interroge l’encadrement du temps de la grossesse et les tensions entre différentes temporalités. Les femmes enceintes sont assignées à des responsabilités supplémentaires au nom de la « protection » du fœtus qui viennent s’ajouter au travail domestique et, pour nombre d’entre elles, au travail rémunéré.

Objectifs : L’article analyse le rôle ambivalent et les effets différenciés de l’encadrement légal et médical des grossesses.

Méthodologie : Il s’appuie pour cela sur une enquête par entretiens et observations réalisée en Île-de-France entre 2014 et 2017. Trente femmes enceintes ont été interrogées, dont onze à plusieurs reprises. Les observations concernent différentes étapes du suivi de grossesse à l’hôpital, principalement les inscriptions, les consultations, et les cours de préparation à la naissance.

Résultats : L’encadrement des grossesses assigne aux femmes la responsabilité individualisée de garantir la santé du fœtus. Le parcours de soin est intensif et repose sur une disponibilité permanente des femmes, rendue possible par la subordination du temps professionnel aux impératifs médicaux. Les salariées cherchent à minimiser l’impact de leur grossesse sur leur lieu de travail en mettant en œuvre des stratégies de séparation du temps médical et du temps professionnel.

Conclusions : L’accès aux soins est largement effectif en France et le droit garantit une couverture médicale pour les femmes enceintes, mais celle-ci ressort en même temps de l’obligation de soins. Cette obligation est inégalement contraignante selon les ressources des femmes. Du côté de droit du travail, les mesures dites protectrices sont peu effectives, car peu appliquées par les employeurs et mobilisées partiellement par les salariées ; celles qui sont le mieux situées dans les rapports de classe et dans la hiérarchie professionnelle ont davantage de marge de manœuvre.

Contribution : Cet article contribue à la sociologie de l’articulation des temps sociaux, à la sociologie de la santé, et à la sociologie des inégalités sociales.

Mots-clés: maternité, accès aux soins, santé, emploi, conciliation, temporalité

Être (re)connue dans la pharmacie : délivrance d’une contraception « en crise  » en France et contournement de l’autorité (para)médicale
Leslie Fonquerne

Cadre de la recherche : Cet article est basé sur une recherche de doctorat en sociologie portant sur les prescriptions et les usages de contraception orale, dans un contexte marqué par « la crise de la pilule  ». Il interroge les modalités de délivrance et d’achat de contraception orale, en particulier en cas d’ordonnances défaillantes.

Objectifs : En se centrant sur le moment particulier du « travail contraceptif  » qu’est l’achat de contraception orale, l’objectif est de mettre au jour les stratégies développées par les usagères pour accéder à leur contraception orale, face aux logiques non médicales parfois discriminantes du personnel de pharmacie.

Méthodologie : Cet article s’appuie sur des matériaux de terrain de type qualitatif recueillis entre janvier 2014 et août 2018. D’une part, soixante-seize entretiens ont été menés auprès de dix-sept usagères de pilules, de leurs mères et de trente-cinq professionnel·le·s de santé habilité·e·s à prescrire ou délivrer une contraception. D’autre part, près de cent consultations médicales et gynécologiques ont été observées en structures médicales publiques et privées.

Résultats : La fonction de l’ordonnance varie selon la génération des pilules : garantissant le remboursement de celles de deuxième génération et opérant davantage comme un outil de contrôle médical pour les pilules de troisième et quatrième générations. Pourtant, en cas de défaillance d’ordonnance (dépassée ou absente), ces dernières pilules semblent plus accessibles que les premières. En outre, la variable à cet accès relève moins de logique médicale que du degré de familiarité entre l’usagère et le personnel de pharmacie, qui recourt à l’âgisme au détriment des plus jeunes. Par conséquent, les usagères mobilisent leurs mères pour contourner l’autorité (para)médicale.

Conclusions : Le « travail contraceptif  » inhérent à un usage de contraception orale nécessite un contrôle de soi et des compétences qui vont bien au-delà de l’ingestion quotidienne de pilules. Parallèlement, les logiques non médicales opèrent comme outils de contrôle social d’accès à la contraception.

Contribution : Le moment particulier du « travail contraceptif  » qu’est l’achat de la pilule est peu étudié. Cet article envisage l’ordonnance de pilules comme un outil facultatif.

Mots-clés: contraception, génération, genre, médicalisation, mère, professionnels de la santé, santé reproductive


Pourquoi le programme québécois « Agir tôt » est-il controversé ?
Michel Parazelli, David Auclair, Marie-Christine Brault

Cadre de la recherche : La prévention précoce prédictive des troubles de comportement et d’apprentissage oriente progressivement depuis plus de 20 ans des politiques sociales et éducatives en petite enfance au Québec. Un exemple frappant est le récent programme, Agir tôt, dont l’existence est justifiée par les résultats de l’Enquête québécoise sur le développement des enfants de maternelle (EQDEM) qui utilise l’Instrument de mesure du développement de la petite enfance (IMDPE).

Objectif : Cet article se veut une invitation au débat en interrogeant les soubassements normatifs de ces programmes gouvernementaux.

Méthodologie : Notre démarche scientifique repose sur une posture épistémologique critique et utilise une méthodologique inductive qui s’inscrit dans un courant critique de la recherche qualitative. À partir des textes décrivant l’IMDPE et le programme Agir tôt, nous avons interrogé les concepts et les valeurs idéologiques mobilisés pour orienter a) la compréhension du développement de l’enfant et de ses difficultés et b) la finalité visée par ces intentions programmatiques et politiques.

Résultats : Notre analyse a révélé des biais théoriques et méthodologiques et a identifié une normativité spécifique sous-jacente à ces pratiques préventives controversées, dont le choix d’interpréter les faits à partir d’une biologie des comportements.

Conclusions : Ce programme s’inscrit en droite ligne avec la rationalité biomédicale de la prévention précoce prédictive en considérant comme des vérités absolues, d’une part des hypothèses sur le développement du cerveau, et d’autre part une interprétation béhavioriste de la normalité.

Contribution : Notre recherche démontre que ces biais sont largement ignorés non seulement par les parents, mais par les gestionnaires et les professionnels de la petite enfance. Une conséquence est de confisquer la responsabilité et la parole des parents contraints de devoir apprendre par des experts ce que devraient être leurs besoins.

Mots-clés: prévention précoce, dépistage prédictif, épistémologie, développement de l’enfant, vulnérabilité, données probantes, optimisation des compétences, Agir tôt, IMDPE

« J’avais peur, mais maintenant, c’est chez moi » : parcours de femmes réfugiées en situation monoparentale à Montréal
Marie Fally

Cadre de la recherche : Le nombre de personnes déplacées dans le monde s’élève aujourd’hui à 82,4 millions (UNHCR, 2021). L’UNHCR demeure critique des faibles quotas accordés aux personnes réfugiées au Canada et conseille depuis 2018 d’accorder la priorité d’accueil aux populations les plus vulnérables, notamment les femmes seules avec enfants qui sont au cœur de cette recherche. Si elle incarne une réalité variée dans les pays d’origine, la monoparentalité en contexte de migration forcée devient synonyme de précarité, d’instabilité et d’inégalités sociales et économiques, et à plus forte raison en contexte de pandémie mondiale.

Objectifs : L’objectif est de s’interroger sur les stratégies que ces femmes mettent en place pour s’ancrer dans la société québécoise et pour faire face aux défis qui leur sont propres.

Méthodologie : L’article prend appui sur des données recueillies par entrevues semi-dirigées auprès de trois femmes réfugiées en situation de monoparentalité à Montréal.

Résultats : Ces mères doivent jongler entre émotions tumultueuses, défis quotidiens et responsabilités familiales. Leurs parcours illustrent les manières dont se superposent résilience et agentivité dans la gestion des dynamiques familiales ainsi que dans les expériences d’installation.

Conclusions : Les transformations familiales et les défis de la migration forcée poussent les mères réfugiées à reconstruire non seulement leur chez-soi, mais aussi leur individualité de femme, et de mère, ce qui remet en cause les perspectives parfois réductrices sur la maternité et la résilience.

Contribution : La présentation des données issues de cette recherche permet de nuancer les concepts de résilience et d’agentivité en cernant leur complexité et leur ambivalence, tout en révélant comment les mères se reconstruisent après une expérience de migration forcée.

Mots-clés: agentivité, chez-soi, femme réfugiée, migration, monoparentalité, résilience


No 38 - 2021


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