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No 23 - 2015

Homoparentalités, transparentalités et manifestations de la diversité familiale: les défis contemporains de la parenté
Sous la direction de Martine Gross, Marie-France Bureau




L’homoparentalité et la transparentalité au prisme des sciences sociales : révolution ou pluralisation des formes de parenté ?
Martine Gross

Compte tenu des développements rapides tant des progrès scientifiques en matière de procréation que des pratiques sociales, l’homoparentalité et la transparentalité ont cristallisé de nombreuses interrogations portant sur la parenté ainsi que sur les définitions de la paternité et de la maternité dans plusieurs disciplines. L’homoparentalité et la transparentalité remettent en question le modèle biologique et biparental (une mère et un père) dans lequel les parents ont procréé leurs enfants ou peuvent passer pour l’avoir fait, et sont au plus au nombre de deux. Au-delà des inquiétudes concernant le développement psychologique des enfants nés dans ces types de famille, auxquelles de nombreuses études en psychologie ont tenté d’apporter une réponse, les familles homoparentales et transparentales offrent de nouvelles possibilités de questionnements et réflexions – que ce soit en sociologie, anthropologie, en droit de la famille et de la filiation. En effet, ces familles rassemblent dans leur diversité des situations de désintrication de la conjugalité, la procréation, la filiation et la parenté. Cette désintrication, qui met à mal le modèle dans lequel les dimensions procréative (être né de), légale (être fils/fille de) et affective (être élevé par) sont confondues, est aujourd’hui présente également dans plusieurs autres configurations familiales, notamment les recompositions familiales, le recours à la procréation assistée avec tiers donneur ou l’adoption.

Cet article introductif sera l’occasion de rappeler ce qu’on entend par homoparentalité et transparentalité, et fera dialoguer autour des enjeux soulevés par ces thématiques des travaux issus de disciplines différentes. Une revue de la littérature rassemblera ensuite les travaux menés sur l’homoparentalité depuis les années 1990, selon trois approches principales : psychologique, socio-anthropologique et socio-juridique. Enfin, les travaux sur la transparentalité, moins nombreux et plus récents, seront regroupés dans une partie distincte. Cet article s’achèvera par une présentation des articles constituant ce numéro.

Mots-clés: homoparentalité, transparentalité, parenté trans, homoparenté, approche socio-juridique, approche socio-anthropologique, approche psychologique


La chimère de « la théorie du genre » ou comment le débat autour de la loi française du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe dévoile les mécanismes d’un système de genre
Laurence Moliner

Si la loi française du 17 mai 2013 d’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe constitue une avancée majeure pour les familles non hétéronormées, elle a également mis en évidence des résistances face à la transformation des normes de genre appliquées aux familles. La fabrication de « la théorie du genre » a influencé le législateur et a ainsi freiné l’avancée en égalité pour toutes les familles alors que l’analyse des discours parlementaires révèle des mécanismes de genre largement inspirés par un repli dans l’imaginaire.

Mots-clés: hétéronormativité, famille, égalité, genre

L’ambivalence de la transmission des normes du genre par les mères lesbiennes : de la critique des stéréotypes à leur reproduction « pour le bien de l’enfant »
Camille Frémont

Ce travail s’appuie sur des récits de mères lesbiennes recueillis dans le cadre d’un travail de recherche en sociologie, mené en France, sur la transmission du genre dans les familles lesboparentales. Ce travail visait à répondre à la question suivante : quelles représentations ont les mères lesbiennes ont-elles des normes du genre et de la socialisation de genre de leurs enfants ?

D’un point de vue individuel, les enquêtées démontrent une réelle remise en question des normes du genre. Elles manifestent un détachement de la pensée hétéronormative par une critique des stéréotypes de genre, une dénonciation du sexisme et une certaine « déshétérosexualisation » dans la manière de parler de soi et dans leur apparence. Le fonctionnement des couples au quotidien montre une plus grande égalité que dans le modèle hétérosexuel traditionnel de l’organisation domestique et des rôles parentaux.

Elles développent des discours présentant leur mode de vie sous un jour positif et dans lesquels elles affirment de manière argumentée la non-nécessité de la différence des sexes au niveau du couple parental. Ces arguments se retrouvent dans les récits de conception qu’elles construisent pour leurs enfants, afin que ceux-ci se structurent à partir d’une vision valorisante de leur famille. Les récits de conception proposent une définition de la famille dans laquelle procréation et conjugalité sont dissociées. En revanche, leur sentiment de légitimité semble rester vulnérable face à l’homophobie latente, non explicitement hostile, dont elles citent, en les minimisant, les nombreuses conséquences au quotidien.

Aussi, bien que prédisposées à transmettre des modèles d’identification éloignés des stéréotypes de genre, les mères lesbiennes interrogées sont attentives à promouvoir auprès de leurs enfants les signes d’une socialisation de genre normative, afin de les protéger de la désapprobation sociale à laquelle elles ont le sentiment de les exposer par leur modèle familial atypique. Elles leur apprennent à maîtriser les arguments qui leur permettront de se présenter de manière lisible et acceptable socialement.

Mots-clés: lesboparentalité, hétéronormativité, genre

Analyse du fonctionnement psychique d’enfants grandissant avec un couple de femmes
Émilie Moget, Susann Heenen-Wolff

De nombreuses recherches ont été menées ces 35 dernières années auprès des familles homoparentales. Majoritairement de type quantitatif, ces études nous informent peu sur le fonctionnement dynamique et singulier de ces familles. Au travers d’une étude exploratoire et longitudinale, nous analysons le vécu particulier de familles homoparentales (deux femmes) qui ont eu recours à la procréation assistée avec don de sperme anonyme. Nous explorons dans notre recherche les sujets suivants : le rôle des mères auprès de l’enfant, la place du donneur anonyme dans le roman familial, le rapport de l’enfant à ses origines, le développement de l’identité sexuelle de l’enfant, l’intégration de ces familles dans une société hétéronormative. Grâce à nos rencontres régulières avec les enfants et les parents nous pouvons mettre en lumière les spécificités de leur fonctionnement familial. L’originalité de notre recherche se situe dans l’exploration du vécu intrapsychique et intersubjectif de ces enfants. Nous tentons de comprendre comment les enfants dont les parents sont de même sexe se construisent psychiquement. L’utilisation d’outils projectifs thématiques (Patte Noire, CAT, Dessin de famille) nous fournit des informations précieuses quant à leur développement psychosexuel. Ce matériel est à la source d’une double sollicitation, à la fois perceptive et projective, ce qui nous permet de relever des indices sur la manière dont l’enfant perçoit ses relations, se les représente et les symbolise. La description de cas cliniques illustrera nos propos.

Mots-clés: familles homoparentales, recherche exploratoire, outils projectifs, développement psychosexuel

« Je leur dis que j’ai deux mamans ? » : carrières de (non-)publicisation de l’homoparentalité à l’école en France
Alice Olivier

Si la recherche s’est intéressée à la formation des familles homoparentales et au développement de leurs enfants, très peu de travaux se sont interrogés sur la manière dont ces derniers gèrent leur situation familiale en milieu scolaire. Pourtant, l’école est vectrice d’hétéronormativité, ce qui soulève de nombreuses questions quant aux attitudes que ces enfants y adoptent : comment y font-ils état de leur situation familiale ? À partir d’entretiens menés en France auprès de 13 filles et garçons âgés de 10 à 19 ans et issus de familles homoparentales de configurations diverses, j’analyse la « (non-)publicisation » de l’atypisme familial dans sa dimension temporelle en la considérant comme une « carrière » séquencée par les différents paliers scolaires traversés. Correspondant à des contextes normatifs bien différents, ces paliers impliquent des manières précises et distinctes de percevoir et donc de publiciser sa famille. Ainsi, l’école élémentaire (de 6 à 11 ans environ) est un espace peu normé par les groupes de pairs dans lequel l’homoparentalité n’est pas perçue comme un stigmate, ce qui explique une large publicisation de la situation familiale. Au collège (de 11 à 15 ans) en revanche, les normes des groupes de pairs se renforcent et confèrent un caractère stigmatisant à cette situation, qui est alors publicisée auprès d’un petit nombre de camarades choisis et masquée à d’autres. Au lycée (de 15 à 18 ans) enfin, l’homoparentalité peut rester perçue comme un stigmate, mais celui-ci est souvent renversé dans une publicisation active de la situation familiale.

Mots-clés: homoparentalité, école, groupes de pairs, atypisme familial, enfance, adolescent, norme

Les atermoiements du droit français dans la reconnaissance des familles formées par des couples de femmes
Laurence Brunet

Les juges français sont depuis plusieurs années régulièrement saisis, de la part de couples de femmes, de demandes visant à reconnaître une place à la mère « sociale », par opposition à la mère légale qui est celle ayant accouché de l’enfant. Comment les juges répondent-ils à ces requêtes ? La loi du 17 mai 2013 a ouvert le mariage aux couples de même sexe et autorise en conséquence l’adoption de l’enfant par l’épouse de la mère légale. Mais avant même le vote de cette loi, la jurisprudence avait œuvré en faveur de la reconnaissance d’un quasi-statut pour la mère « sociale », pendant comme après la fin de la vie commune de couple. Plus d’un an après la première consécration légale en France de la famille homoparentale, un premier bilan mérite d’être dressé.

Mots-clés: famille, couple de même sexe, adoption, assistance médicale à la procréation, juge

Incidences de la composante biogénétique dans la reconnaissance de la filiation monosexuée en Espagne
Marta Roca i Escoda

Cet article reprend des réflexions issues d’une recherche en bioéthique qui s’attachait à analyser le croisement de trois phénomènes : le développement des nouvelles technologies utilisées dans les processus de reproduction humaine ; leur encadrement juridique et normatif ; l’ouverture des droits aux minorités sexuelles, notamment la reconnaissance de l’homoparentalité. Mon propos se concentrera sur les évolutions juridiques dans le contexte espagnol concernant la filiation monosexuée, tant masculine que féminine, à travers les techniques de reproduction assistée. Ce choix est motivé par le fait que l’Espagne, en ouvrant le mariage aux couples homosexuels, est allée plus loin que d’autres pays européens dans la reconnaissance de la filiation homosexuelle. Mais dans les faits, plusieurs sortes de no man’s land juridiques posent des problèmes concrets quant à la reconnaissance de cette nouvelle filiation. C’est dans ces impasses juridiques que la composante biologique et génétique ressort fortement dans le débat juridico-politique actuel. L’analyse visera donc à montrer plus précisément comment, dans ces débats, la composante biogénétique est engagée dans la conception de la filiation, tant du point de vue du droit que des pratiques des couples homosexuels.

Mots-clés: filiation, genre, homoparenté, Espagne, gestation pour autrui

L’interdiction de discriminer les personnes trans* dans la Charte des droits et libertés de la personne : pour son amélioration par l’ajout de l’« identité de genre » et de l’« expression de genre » à la liste des motifs de distinction illicites
Jean-Sébastien Sauvé

Au Québec, la Charte des droits et libertés de la personne interdit, dans une certaine mesure, la discrimination des personnes trans*. Ce régime couvre cependant difficilement les différentes facettes de l’identité de genre et de l’expression de genre et certaines situations pouvant en découler, dont la transparentalité. En réponse à cette lacune et à l’aide d’une approche positiviste, l’article proposé suggère l’ajout de l’« identité de genre » et de l’« expression de genre » à la liste des motifs de distinction illicites énoncés à l’article 10 de la Charte. Cela permettrait d’offrir aux personnes trans* une meilleure « protection » juridique – à supposer qu’une telle protection existe réellement. L’état du droit se verrait, par ailleurs, clarifié. Afin de soutenir cette affirmation, l’interdiction de discriminer les personnes trans* est, dans un premier temps, étudiée. Il est ainsi montré que le « sexe » et l’« état civil » apparaissent comme des motifs centraux au cœur d’une telle analyse. Cependant, en raison de l’interprétation qui leur en est donnée, ils ne permettent pas d’embrasser pleinement et explicitement la situation de toute personne résistant aux stéréotypes de genre. Le régime juridique québécois se montre donc, à cet égard, insuffisant pour interdire complètement et explicitement la discrimination contre les personnes trans*. Face à cette insuffisance, il est, dans un deuxième temps, proposé d’ajouter, à la liste des motifs de distinction illicites, l’« identité de genre » et l’« expression de genre ». De plus en plus prisée ailleurs au Canada, une modification semblable de la Charte permettrait de pallier le problème décrit ci-dessus. S’il est vrai que les effets concrets d’une telle modification législative sont difficilement mesurables considérant le fait que la « protection » contre la discrimination, au sens strict, relève du mythe, l’auteur soutient qu’il demeure opportun de modifier en ce sens la Charte des droits et libertés de la personne.

Mots-clés: discrimination, état civil, expression de genre, identité de genre, sexe, transgenre, transphobie, transsexuel

« J’ai aidé deux femmes à fonder leur famille » : le don de gamètes entre particuliers en contexte québécois
Isabel Côté, Kévin Lavoie, Francine De Montigny

Cet article présente les résultats de recherche visant à mieux comprendre le point de vue et l’expérience d’hommes agissant à titre de donneurs de sperme dans la concrétisation de projets parentaux d’autrui. Notre démonstration s’appuie sur des données qualitatives tirées de deux corpus d’entrevues réalisées auprès d’hommes ayant offert leur sperme à des couples lesbiens, soit dans le cadre d’un rapport relationnel préexistant avec les femmes (n = 10), ou d’une entente établie à partir d’un contact sur Internet (n = 8). Les résultats plaident pour une conception plus nuancée de leur participation au projet parental d’autrui. Non seulement la conviction de poser un geste altruiste pour les couples lesbiens est perçue par ces hommes comme une source importante d’accomplissement, mais la méthode de procréation préconisée s’inscrit dans une démarche consensuelle et transparente, à la rencontre des besoins des personnes impliquées et de leurs motivations respectives.

Mots-clés: don de sperme, filiation, lesboparentalité, procréation assistée

Transparentalité : vécus sensibles de parents et d’enfants (France, Québec)
Corinne Fortier

La transparentalité représente une épreuve sociale et intime autant pour les personnes concernées que pour leurs conjoints et leurs enfants. Il existe peu de recherches sur ce sujet sensible, et encore moins de témoignages d’enfants. Dans cette étude qui croise anthropologie et psychologie, j’ai voulu rendre compte de la manière la plus juste de la parole des personnes rencontrées, en faisant état de leurs sentiments, de leur parcours, de leurs difficultés, de leurs doutes et de leurs victoires, sans jugement de valeur. Dans le cadre limité de cet article, je présente le cas de femmes trans, soit des personnes nées hommes et devenues femmes, qui étaient déjà mariées ou en couple avec une compagne avant leur transition et qui ont eu des enfants dans le cadre de cette union. Leurs récits de vie attestent de leur manière d’ajuster leur transition en femme à leur rôle parental, même si elles doivent faire face à beaucoup d’incompréhension, sinon d’exclusion. J’examine aussi comment les enfants réagissent au changement d’identité sexuée de leur parent, réaction qui peut évoluer au cours du temps, et qui est intrinsèquement liée à la façon dont la nouvelle leur est annoncée, à leur âge, à l’attitude de leur mère et de leur famille proche, ainsi qu’au regard social porté sur la transparentalité.

Mots-clés: transidentité, transparentalité, identité sexuée, parentalité, enfant

La gestion médicale de la parenté trans en France
Laurence Hérault

Cet article s’intéresse à la manière dont les personnes trans sont accueillies dans les centres de PMA (procréation médicalement assistée) en France et plus largement à la façon dont la procréation des personnes trans est actuellement pensée et gérée dans le cadre médical français. On analysera ainsi comment les CECOS (centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains) ont pris en charge les couples formés par des personnes trans, avant d’explorer plus attentivement la manière dont est actuellement prise en compte la question de la préservation des gamètes avant la transition. On s’attachera notamment à saisir comment, dans ces différents cadres médicaux, la parenté transgenre, et plus particulièrement l’engendrement par des personnes trans, est constituée de façon problématique et spécifique alors même qu’elle ne se distingue en rien des modalités ordinaires de procréation en PMA. Il s’agira autrement dit de comprendre par quelles procédures et quels dispositifs elle est faite problème.

Mots-clés: transgenre, transsexuel, parenté, assistance médicale à la procréation, Académie de médecine, France




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