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No 20 - 2014

Transmission à rebours, filiation inversée, socialisation ascendante : regards renversés sur les rapports de générations
Sous la direction de Delphine Lobet, Lidia Eugenia Cavalcante




Transmission à rebours, filiation inversée, socialisation ascendante : regards renversés sur les rapports de générations
Delphine Lobet, Lidia Eugenia Cavalcante

Cet article introductif propose un aperçu de la situation présente de la recherche en sciences sociales sur la question des rapports de génération étudiés dans le sens inverse au sens habituel, c’est-à-dire dans le sens enfants-parents. Comment la recherche traite-t-elle cette importante question de la transmission à rebours, de la socialisation inversée, de la filiation ascendante, en bref comment traite-t-elle cette question : que font les enfants à leurs parents et à leur famille ? Il propose ensuite de réfléchir au contexte actuel de l’accélération des savoirs : quel impact la société de l’information multiconnectée peut-elle avoir sur les rapports parents-enfants en ce qui concerne la transmission et la socialisation, précisément ? Enfin, nous reviendrons sur les « trouvailles », sur les principales découvertes que les auteurs de ce numéro d’Enfances Familles Générations ont retirées de l’exercice de renversement du regard auquel ils se sont prêtés.

Mots-clés: famille, transmission à rebours, socialisation inversée, société de l’information, religion, alimentation, migration, enfantalité


L’enfantalité en situation familiale complexe : regarder la famille du point de vue des enfants
Claire Ganne

Le terme « parentalité » connait une expansion importante dans les champs politique, sociologique et psychologique. S’il est aujourd’hui admis que le fait d’être parent engage des dimensions symbolique, juridique, psychologique et pratique, et peut donc prendre plusieurs formes, qu’en est-il des enfants? Comment définissent-ils ce qui fait famille, et quels sont les adultes qu’ils considèrent comme leurs parents? En particulier, dans des situations complexes, quelles dimensions les enfants mobilisent-ils pour se définir comme l’enfant d’un adulte ou d’un groupe? Tout comme la parentalité, l’enfantalité ne passe pas uniquement par la filiation biologique, mais également par des représentations, un quotidien partagé, un cadre juridique…Dans le cadre d’une recherche sur le devenir d’enfants ayant bénéficié d’interventions socioéducatives, nous avons rencontré vingt-trois enfants âgés de sept à douze ans. Du fait de leur parcours spécifique, ils connaissent des situations familiales variées : certains vivent avec leurs deux parents biologiques, d’autres, dans une famille monoparentale, recomposée, dans la famille élargie, dans une famille d’accueil… Leur discours met en évidence les enjeux liés à l’appartenance à plusieurs familles et à la nomination des différents protagonistes (l’enfant, ses parents, beaux-parents, grands-parents, parents d’accueil…), et permet d’esquisser un modèle de l’enfantalité. Dans certains cas, on pourrait être simultanément l’enfant de plusieurs parents ou de plusieurs familles, de différentes façons.

Mots-clés: enfantalité, affiliation, appartenance familiale, nomination, enfant

« Enfant abandonné en Chine, puis domestiqué en France ? Qu’est-ce que je suis pour eux ? ! »
Simeng Wang

S’appuyant sur une enquête de terrain effectuée pendant trois ans dans la région parisienne auprès de jeunes d’origine chinoise qui consultent dans le secteur public ou privé de la psychiatrie, cet article se focalise sur la relation entre ces derniers et leurs parents, et notamment sur le phénomène des « obligations familiales à rebours ». Il montre comment ces enfants migrants font bénéficier leurs parents de diverses ressources acquises ou liées au pays d’accueil. Au travers d’analyses sur le processus des migrations en deux temps – le délai entre la ou les migrations des parents et celle de l’enfant peut être de plus de dix ans –, l’auteure met d’abord en exergue trois formes d’obligations familiales à rebours : culturelle, économique et administrative, ainsi que leurs logiques sous-jacentes. Ensuite, sont prises en considération les réactions des jeunes concernés par ce phénomène : après avoir décrit leurs réflexions sur le fait de se sentir « obligés » de se mettre à la disposition de leurs parents, l’auteure examine les stratégies qu’ils adoptent pour contourner ces obligations familiales à rebours par l’intermédiaire du monde extérieur (école, travail, lieu de soin, association, etc.) où ils souhaitent ouvrir le champ des possibles.

Mots-clés: relation intergénérationnelle, obligation familiale à rebours, souffrance psychique, ascension sociale, France, migrant, Chine

La réactualisation du lien de filiation chez les Vietnamiens de France à partir du bouddhisme
Jérôme Gidoin

À partir d’une étude ethnologique de terrain consacrée au culte des ancêtres des Vietnamiens en France, réinterprété à partir du bouddhisme, cet article traite des nouvelles modalités de transmission intergénérationnelle de l’identité ethnicoreligieuse vietnamienne. De plus en plus de familles, qui ont le sentiment de ne plus parvenir à transmettre les valeurs de la « vietnamité », délèguent par commodité leur culte des ancêtres domestique aux moines de certaines pagodes vietnamiennes de la région parisienne. Ce phénomène marque l’érosion d’un modèle ritualiste de la transmission. L’affiliation à une pagode permet d’entretenir certains éléments essentiels d’une trame éthique en cours de redéfinition. On constate que les jeunes se réapproprient volontiers la « vietnamité » à partir du référent bouddhiste, sans pour autant que cela passe par une perpétuation du ritualisme familial traditionnel. Pour eux, souvent, le bouddhisme est un choix. On observe alors une nouvelle manière d’appréhender les références collectives, et corrélativement, une redéfinition de l’affiliation à la mémoire léguée par les parents, toute culture étant amenée à s’adapter au changement, notamment dans le contexte postmigratoire.

Mots-clés: filiation, transmission intergénérationnelle, bouddhisme, religiosité familiale, acculturation, scoutisme

L’halal à l'épreuve de la socialisation inversée
Christine Rodier

Les pratiques des descendants de migrants sont souvent analysées à la lumière d’un « ici » et d’un « là-bas » que l’acteur articule sans cesse sans jamais s’en départir. Ce « là-bas » insinue que la culture du pays d’origine est « hors du temps », et où l’histoire serait constamment rabattue sur la culture. La notion même d’un « ici » et d’un « là-bas » ou d’un « entre-deux » insinue que les adolescents descendants de migrants seraient tiraillés constamment entre un ailleurs et un présent et, par conséquent, ne disposeraient au quotidien que d’une marge de manœuvre réduite, voire inexistante. Cette articulation conduirait de fait à des états de crises et de fortes tensions entre, d’une part, les adolescents et leurs parents et, d’autre part, les adolescents et la société dans son ensemble. Notre objectif, à travers cette contribution, est de comprendre comment, à travers la consommation de produits halal, de nombreux adolescents interrogent les pratiques alimentaires de leurs parents et l’« exotisme » dont celles-ci font l’objet tant de la part des grandes surfaces que du regard porté par les « autres », désignant pour certains adolescents les « Français ». Plus précisément, la socialisation inversée mise au jour par divers travaux (Gollety, 1999; Young, 2003) s’observe dans les pratiques alimentaires des descendants de migrants. Les descendants des migrants adhèrent à un islam qu’ils jugent « savant », à l’opposé de l’islam de leurs parents, et interfèrent dans la transmission parentale au profit d’une transmission horizontale avec des individus de même génération et d’une diffusion par le biais de la mosquée d’un savoir livresque et d’une approche scripturaire. Ce mode de transmission leur apparaissait légitime, car il repose sur le texte qui suffit à justifier le respect de telle ou telle pratique. Cette socialisation inversée à travers l’halal s’inscrit dans un nouveau rapport à la foi, à son contenu et à ses formes.

Mots-clés: socialisation, transmission, islam, génération, halal, alimentation

Regard(s) « sur » et « par » l’alimentation pour renverser et comprendre comment sont renversés les rapports de générations : l’exemple de la socialisation alimentaire inversée
Anne Dupuy

L’alimentation est un des rares domaines dans lequel toutes les générations se rencontrent. Cet en-commun générationnel se traduit par une certaine porosité dans les relations de transmission alimentaire et correspond, de fait, à un formidable lieu d’observation et d’analyse des processus de socialisations. S’ils sont traditionnellement étudiés à partir d’un ordre générationnel vertical, des adultes vers les enfants, les perspectives proposées dans cet article, à partir d’une socioanthropologie de et par l’alimentation, s’intéressent non seulement à ce que font les enfants de ce qu’ils reçoivent, mais surtout à ce qu’ils font, parfois en retour, sur leur entourage nourricier. Socialisations alimentaires inversées, variations dans les tensions éducatives, effets des rapports de fidélité ou d’affection sur les filiations symboliques, sentiments de réussite ou d’échec parentaux, continuité des héritages, effets des refus alimentaires sur les modes de transmission parentaux sont autant de regards portés sur et par l’alimentation pour renverser les façons de percevoir les rapports de génération et comprendre par ailleurs comment les enfants contribuent à renverser les rapports de génération.

Mots-clés: socialisation, alimentation, filiation symbolique, tension éducative, plaisir, préférence altruiste


De la mère « normale » : Normes, expertises et justice en protection de la jeunesse
Emmanuelle Bernheim, Claire Lebeke

Les « compétences parentales » sont au cœur de l’intervention en protection de la jeunesse. Notion controversée et indéterminée, les compétences parentales font l’objet de l’interprétation d’une variété d’experts aux formations et aux méthodes de travail diverses. Alors que la force probante des expertises sur le comportement est mise en cause par de nombreux juristes, les tribunaux continuent systématiquement d’y avoir recours. L’absence d’examen des compétences et des méthodes de travail des experts a pour effet la formalisation d’un système de critères qui s’est mis en place au fil du temps, de manière insidieuse. Un contexte par lequel l’activité judiciaire contribue à la formalisation d’une norme de la mère normale.

Mots-clés: compétences parentales, expertise, tribunaux, mère, santé mentale

Handicap, famille et soutien : Regard croisé Québec-Suisse
Geneviève Piérart, Sylvie Tétreault, Pascale Marier Deschênes, Sophie Blais-Michaud

Ce texte propose une analyse croisée du soutien aux familles d’enfants handicapés au Québec et en Suisse romande. Il présente, pour chaque région, les principales législations en lien avec la politique familiale et le handicap, les dispositifs de sécurité sociale ainsi que l’organisation des services sociaux, scolaires et de santé. Les deux territoires possèdent un héritage historique commun ancré dans une approche caritative du handicap. Dans les années 1970, les revendications des mouvements associatifs ont permis, de part et d’autre, une professionnalisation de l’accompagnement des personnes handicapées et de leurs proches. Actuellement, le système québécois s’inscrit dans une perspective ambulatoire, tandis que les institutions spécialisées jouent encore un rôle important en Suisse romande. Dans ces deux parties francophones d’États fédéralistes, des besoins importants subsistent au sein des familles d’enfants handicapés, malgré le développement de solutions innovantes.

Mots-clés: enfant handicapé, famille, soutien, Québec, Suisse, services sociaux, politique familiale

J’arrête ou tu continues ?
David Baril, Sylvain Bourdon

Cet article étudie les relations entre les jeunes adultes non diplômés de passage en formation générale des adultes (FGA) et leurs parents en mobilisant le concept d’ambivalence intergénérationnelle. L’analyse s’appuie sur des entretiens semi-dirigés menés auprès de 30 jeunes adultes, âgés de 16 à 25 ans au moment de leur fréquentation à la FGA. Les analyses montrent que les parents demeurent bien souvent impliqués affectivement dans la scolarisation de leur enfant. Sauf exception, ils ne sont jamais loin derrière, que ce soit pour les soutenir et les encourager scolairement ou pour leur rappeler, voire leur imposer, directement ou non, leurs attentes scolaires. Aussi, les relations avec les parents des jeunes adultes étant passés directement du secteur des jeunes à la FGA présentent peu d’ambivalence comparativement à celles des jeunes adultes ayant interrompu leurs études secondaires avant de passer à la FGA. Dans l’ensemble, on observe la mise en œuvre des quatre grandes stratégies de gestion de l’ambivalence de Lüscher, mais la nature de celles-ci semble en grande partie dépendre du fait que le passage à la FGA se fait en continuité à la suite des études au secteur des jeunes ou après une interruption significative de la scolarité.

Mots-clés: ambivalence, formation générale des adultes, interruption des études, jeune, parent

Le meilleur intérêt de l’enfant dont la garde est contestée : enjeux, contexte et pratiques
Élisabeth Godbout, Claudine Parent, Marie-Christine Saint-Jacques

Cette recension des écrits théoriques, scientifiques et professionnels s’intéresse à trois questions en lien avec la détermination du meilleur intérêt de l’enfant dont la garde est contestée à la suite d’une séparation : 1) Quels sont les enjeux entourant le principe de meilleur intérêt de l’enfant ? 2) Quelles sont les caractéristiques des situations qui se retrouvent à être expertisées ou débattues en cour ? 3) Comment ce principe est-il évalué concrètement ; quel poids est accordé à différents critères examinés par les juges et les experts ? Pour les professionnels qui doivent se prononcer sur le meilleur intérêt de l’enfant, la réponse à ces questions met en lumière différents défis inhérents au fait d’être guidés par un critère souple, mais offrant peu de balises claires dans un contexte souvent hautement conflictuel et complexe. L’examen des écrits sur les pratiques des experts et des juges met au jour une tension entre deux courants : l’importance du parent de référence, particulièrement pour les très jeunes enfants et une tendance vers la coparentalité et un partage équilibré de la garde entre les parents. À partir de ces constats, des pistes pour les recherches futures sont proposées.

Mots-clés: meilleur intérêt de l’enfant, droit d’accès, séparation, expertise psychosociale, garde des enfants, évaluation




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